dimanche 24 janvier 2016

LE GRAND MUFTI D'ARABIE SAOUDITE, SHEIKH ABDULLAH AL-CHEIKH, DECRETE UNE FATWA CONTRE LE JEU D'ECHECS

1. La décision et son fondement 

Alors que le jeu d'échecs a été introduit en Europe du Sud par les Arabes au début du Xème siècle après Jésus-Christ, on apprend que le Grand Mufti d’Arabie saoudite, le cheikh Abdel Aziz al-Cheikh; le 21 janvier 2016, les a déclarés"illicites" devant les caméras, à l'occasion de son émission hebdomadaire. Il reproche au noble jeu de transgresser l’interdit du jeu, de représenter une perte de temps et d'attiser "la haine ou de fortes inimitiés entre les joueurs". Le Sheikh a justifié sa décision en se référant au verset du Coran interdisant les «substances intoxicantes, le jeu, l’idolâtrie et la divination ». 

La sentence du cheik Abdel Aziz al-Cheikh n’a pas empêché le tournoi à La Mecque de débuter comme prévu, le lendemain, le 22 janvier 2016. Le président de l’association saoudienne d’échecs, Musa Bin Thaily,. a rappelé que les fatwas du mufti n’ont pas valeur de loi en Arabie saoudite, mais que les autorités “peuvent s’en servir pour suspendre des événements.En pratique,  les échecs sont relégués au rang de vices mineurs, tels que la musique. 

© Hassan Ammar AFP | Le cheikh Abdel Aziz al-Cheikh en 2005.

2. Une interdiction à géométrie variable. 
Le "jeu des Rois" est interdit en Irak, depuis 2005, date à laquelle l’ayatollah Ali al-Sistani, le plus haut dignitaire chiite du pays, l'a condamné "'en toutes circonstances". 
Le jeu avait déjà été interdit en Iran en 1979, après la révolution islamique, pendant neuf ans, avant que cette interdiction ne soit levée ce qui a permis à la République Islamique d'Iran de se doter d'une confédération d'échecs. 

En 2001, le même mufti avait déjà recommandé l'interdiction des jeux de carte pour enfants, comme le Pokémon, "qui s'apparentent à un jeu d'argent en raison de la compétition, impliquant parfois le paiement de la sommes d'argent, entre les collecteurs de cartes". 

3. Un jeu à conseiller. 

Contrairement à l’arbitrage sans appel du Sheikh Abdullah al-Cheikh, les érudits musulmans sont plus nuancés sur la question, n’ayant sans doute pas oublié que les échecs ont été introduits en Europe du Sud par les Arabes au début du Xème siècle, et tendent à les classer, de par les compétences en calcul, la capacité de concentration et de mémorisation requises, dans une catégorie distincte de celle des jeux de hasard. 

En France, on estime entre 400.000 et 500.000 élèves qui apprennent à jouer aux échecs dans le cadre scolaire. S'y ajoutent, les élèves qui s'y initient dans le cadre des activités périscolaires, depuis septembre 2014, même si cela dépend de la volonté des communes qui sont en charge de celles-ci. Sur le plan mondial, le joueur français, Maxime Vachier-Lagrave, champion du monde junior en 2009, depuis le 1er janvier 2016, occupe la 7ème place au niveau mondial avec un Elo de 2785 points. 

Résultat de recherche d'images pour "classement elo de maxime vachier lagrave"
Résultat de recherche d'images pour "maxime vachier lagrave"
Maxime Vachier-Lagrave 

4. L'église catholique ne condamne plus le jeu d'échecs. 

Nous sommes très loin de l'époque où l'église catholique condamnait le jeu d'échecs en tant que jeu de hasard lorsqu'on y jouait aux dés. Cette pratique tombera en désuétude et le jeu en tant que tel retrouvera ses lettres de noblesse. 

Un vitrail de la Cathédrale de Chartres illustre ce jeu de dés sur l'échiquier.
Le fils prodigue 

Bernard Lucas dans son article "l'église et le jeu d'échecs" écrit : "La condamnation du jeu d'échecs repose sur une confusion de termes : scacus désignant à la fois le jeu d'échecs et le jeu de dés pratiqués sur l'échiquier". Et de préciser : "il est difficile d'imaginer que leu avec pièces ait pur être interdit alors que le recueil de sermons sur le jeu d'échecs du dominicain Jacques de Cessoles connaissait un immense succès en Europe".

La réalité est à mi-chemin :En 1061, le cardinal Damiani dénonce au pape Alexandre II l'évêque de Florence qu'il a surpris à jouer aux échecs. Pour sa défense, l'évêque fait valoir qu'il joue sans dés, et que seule les jeux de dés et des hasards font l'objet de la condamnation. En effet, la législation canonique est ancienne en la matière et ne prend pas en compte les échecs, nouveau au 11ème siècle. Il faudra attendre un siècle pour que l'interdiction soit levée et que les échecs soient admis, mais, "sans dés, pour le seul amusement et sans espoir de gain."

Le Pape François, fidèle à l'enseignement de l'Eglise, dans un message publié le 11 janvier 2016, condamne "les plaies sociales diffuses de l’usure et des jeux de hasard". Nous savons que le jeu d'échecs n'en fait plus partie. 

En savoir plus :l'article de Libération sous le titre" Cheikh et mat"
http://www.liberation.fr/planete/2016/01/22/arabie-saoudite-cheikh-et-mat_1428258

dimanche 17 janvier 2016

PETROLE, BOURSES, GEOPOLITIQUE : L'ARABIE SAOUDITE JOUE A L 'APPRENTI SORCIER

On apprend, ce dimanche 17 janvier 2016, que les places boursières des monarchies pétrolières du Golfe ont fortement chuté, plombées par la baisse des prix du brut et la perspective du retour de l'Iran sur le marché.

C'est l'une des ultimes conséquences de la décision unilatérale de l'Arabie Saoudite de faire baisser artificiellement le prix du baril de pétrole. Elle poursuit deux buts : Il s'agit d'exercer une pression sur la Russie en ce qui concerne la Syrie afin d'inciter celle-ci à modifier sa position à l'égard de Damas. Elle cherche, également, faire péricliter le marché naissant du gaz de Schistes aux Etats-Unis, en considérant qu'au dessous d'un certain prix du baril de pétrole, cette exploitation de nouveau gisement ne serait plus rentable.

Le premier pays exportateur de pétrole semble pris à son propre piège pour 3 raisons. 

1) L’Arabie saoudite ne maîtrise pas le cours du pétrole.

 Le 17 janvier 2016, le baril valait 30,39 dollars et le Brent : 29, 24€, alors qu'il avait atteint 146 dollars le baril en 2008, soit près de 20% de sa valeur par rapport à son sommet. Cette situation s'explique par l'offre largement supérieure à la demande qui va être encore renforcée par l'arrivée sur le marché du pétrole 

iranien depuis l'accord sur le nucléaire iranien finalisé le 16 janvier 2016. Selon les analystes, l'évolution du marché du pétrole tient à plusieurs facteurs comme la récente dépréciation du dollar, la course au rendement des investisseurs dans un contexte de taux bas, sans oublier l’instabilité au Yémen, et le léger déclin de la production de pétrole de schiste américain. Autant de facteurs qui ne dépendent pas de l'Arabie Saoudite. 

2) Une cure d'austérité sans précédent.

Etant donné que  les recettes pétrolières représentent plus de 90 % des revenus de l’Arabie Saoudite, a présenté un budget 2016 déficitaire, lundi 28 décembre, faisant suite  à un déficit record de 89 milliards en 2015, selon les statistiques du Ministère des Finances. En 2016, les revenus du pays devraient s’élever à 125 milliards d’euros, les dépenses représenteraient 204 milliards d’euros soit un déficit de 80 milliards d’euros.

Les conséquences pour la population saoudienne vont se faire sentir rapidement suite aux mesures décidées par la Monarchie des Saoud : Introduction de la TVA (une invention française due à l'inspecteur des Finances, Maurice Lauré, en 1954), hausse du prix de l'eau, de l'électricité et du pétrole durant les 5 dernières années, et un programme de privatisations va être lancé. Sur le long terme, l'économie saoudienne ne sera viable que si elle diversifie les ressources de son économie basée, trop longtemps, sur l'illusoire rente pétrolière, dont on sait qu'elle porte malheur...

3) L'équilibre géopolitique remis en cause.


En ne jouant plus le rôle de modérateur au sein de l'OPEP (Organisation des Pays Exportateurs du Pétrole), mais en favorisant une baisse du prix en ne raréfiant pas sa production, l'Arabie Saoudite n'a sans doute pas mesuré les conséquences géopolitiques de sa décision essentiellement économique.

- Une industrie pétrolière et para-pétrolière en crise, dont les Majors (Total, Technip, Vallourec en France) annoncent des résultats en baisse et des licenciements par milliers et retardent leur programme d'investissements permettant de trouver de nouveaux gisements, ce qui met en cause l'économie même de ces entreprises. Par exemple, BP a publié un résultat du deuxième trimestre 2015 s’élevant à 1,3 milliard de dollars contre 2,6 milliards de dollars le trimestre précédent et en fort recul par rapport au deuxième trimestre 2014 : 3,6 milliards de dollars de résultat. Cette chute est en grande partie imputable à la baisse du cours du baril qui s’est échangé en moyenne à 54 dollars sur le deuxième trimestre alors que le groupe avait budgété un cours de 62 dollars.  Alors à 30 dollars le baril...

- Une chute de ces valeurs boursières et de la Bourse en général, inquiète des conséquences du ralentissement sensible de la croissance chinoise, ce qui ne pèsera pas sur la demande pétrole. Si la chute de la Bourse chinoise a déclenché un vent de panique sur les différents places financières, la baisse accentuée du cours du pétrole de 40 à 30.dollars le baril a joué son rôle. Même les pays du Golfe sont touchés puisque ce dimanche 17 janvier la Bourse d'Abou Dhabi a chuté de 4,5% et celle du Koweit de 1,3%  

- Un antagonisme entre l'Iran (Chiites) et l'Arabie Saoudite (Sunnites) ravivé suite à l'exécution d'un dignitaire religieux iranien ce qui a conduit Ryad a rompre ses relations diplomatiques avec Téhéran. La Conférence de paix qui s'ouvrira le 22 janvier prochain, à Genève, sous l'égide de l'ONU risque d'être un échec de ne pas parvenir à démêler l'imbroglio proche-oriental car l'Iran ne figure pas sur la liste des invités et la principale coalition d'opposition syrienne a déjà annoncé son refus d'y participer.

- Enfin, la moitié de la croissance économique des Etats-Unis depuis 2011, est due à l'exploitation des gaz de schistes, largement subventionnée par le Gouvernement fédéral. Dans son rapport du 30 avril 2014, le député Frédéric Barbier note : "L’industrie américaine du secteur de l’exploration-production est particulièrement dynamique, en raison d’une activité intense depuis plusieurs décennies. De nombreuses sociétés de services, principalement de forage, sont présentes sur les sites, avec les équipements et un personnel expérimenté, à des prix compétitifs. On compte environ 1 770 équipements de forage en activité sur le territoire américain en janvier 2014 (2) , contre seulement 126 en Europe (3) ." Source : 
http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i1919.pdf

Les experts ne sont pas d'accord pour fixer le seuil de rentabilité du gaz de schistes (30, 50,80€) les estimations variant également selon les coûts pris en compte (coûts directs et indirects), mais, il est certain, que face à cette nouvelle frontière qui mobilise un pays tout entier, à ce jour, ce nouveau filon ne s'est pas tarit et l'exploitation continue, même s'il est certain que la baisse continue du prix du baril de pétrole va contraindre l'industrie américaine, fortement subventionnée à s'adapter et à franchir un nouveau cap technologique. 

Et si l'Arabie Saoudite avait sous-estimé la résistance américaine à cette offensive ?


En conclusion, ouvrir la boite de Pandore est une chose, ce qui en sort en est une autre.